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Pédago
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La compression dans la guerre du volume

La Loudness War, 2e partie

Continuons notre série sur la course au volume, en nous attardant aujourd’hui sur la compression. Mais pas que.

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Après s’être révélé indis­pen­sable chez les diffu­seurs radio (et la télé nais­sante), le compres­seur/limi­teur va commen­cer à prendre une part très impor­tante dans la produc­tion musi­cale, à partir de la géné­ra­li­sa­tion de l’en­re­gis­tre­ment multi­piste (voir Multi­piste, une pratique plus ancienne qu’on ne le croit), dans lequel le groupe ne sera plus seule­ment une entité sonore globale, mais aussi un ensemble d’ins­tru­men­tistes trai­tés sépa­ré­ment, permet­tant un plus grand contrôle du volume et de la dyna­mique de chacun, et des autres trai­te­ments, équa­li­sa­tion, spatia­li­sa­tion, etc.

L’enre­gis­tre­ment multi­piste n’a rien de néga­tif en soi, la volonté de la quasi-tota­lité des ingé­nieurs du son des années 50 jusqu’au milieu des années 80 ayant été de pouvoir travailler de façon plus précise sur une musique diffé­rente, puisque le mélange acous­tique, élec­trique et synthé­tique (avec l’ar­ri­vée des premiers synthés et instru­ments élec­triques et élec­tro­mé­ca­niques) a imposé une autre vision du mixage, tout du moins une façon diffé­rente de trai­ter des éléments, le son d’un groupe, d’un orchestre ne dépen­dant plus seule­ment de l’art de l’or­ches­tra­tion et du rapport patiem­ment élaboré des pupitres entre eux, mais de l’ar­ri­vée d’ins­tru­ments capables, grâce à l’am­pli­fi­ca­tion, de surpas­ser en volume possible tous les autres instru­ments.

Wah, c’est vache­ment dyna­mique ! 

Combien de fois a-t-on entendu ce contre­sens à propos d’une musique super compres­sée, donc souvent très forte (même à niveau faible, on y revien­dra), pour décrire ce qui est l’exact inverse de la dyna­mique ? Ou, in extenso, la plage dyna­mique, c’est-à-dire la four­chette comprise entre les moments les plus faibles et les moments les plus forts de la musique, du son (on redé­fi­nira tout ça plus tard). 

La loudness war

Une bonne gestion de la dyna­mique, c’est d’abord l’af­faire de l’ins­tru­men­tiste, puisque c’est lui et lui seul qui, au départ, gèrera ses propres nuances : c’est même à la base de toute inter­pré­ta­tion. Je prends souvent l’exemple absurde d’un joueur de piano qui joue­rait toujours avec la même force, l’in­gé­nieur du son ayant placé 88 micros sur les ensembles de cordes de l’ins­tru­ment se char­geant ensuite de créer de la dyna­mique en bais­sant ou montant les volumes (ce qui ne suffi­rait pas, bien sûr, mais n’ou­blions pas que c’est une démons­tra­tion par l’ab­sur­de…). Or, l’ap­pli­ca­tion de surcom­pres­sion audio (à ne pas confondre avec la compres­sion de données, qui résulte en un allè­ge­ment du poids des fichiers, et non en une modi­fi­ca­tion de leurs nuances, voir Compres­sion, de quoi ?) revient à nier tota­le­ment l’ex­pres­si­vité du musi­cien, les nuances de la musique, sa respi­ra­tion, avec des consé­quences drama­tiques sur la qualité même du son et sur nos oreilles.

Qu’est-ce qui a bien pu justi­fier que l’on passe en 30 ans, après des décen­nies de travail atten­tionné sur le son, de ça :

À ça ?

Compres­sion, de quoi ?

Cela semble couler de source, mais l’on rencontre encore souvent des confu­sions en ce qui concerne la notion de « compres­sion ».

Cela est dû à l’uti­li­sa­tion de la forme abré­gée pour parler des deux compres­sions : l’une est une compres­sion de dyna­mique (celle effec­tuée quand on utilise un trai­te­ment de la dyna­mique, famille regrou­pant compres­seurs, limi­teurs, expan­deurs, tran­sient shapers, etc.), l’autre une compres­sion de données (celle mise en œuvre lorsque l’on cherche à réduire le poids d’un fichier, quel qu’il soit, afin de faci­li­ter sa trans­mis­sion, notam­ment par inter­net).

La première permet, entre autres, de réduire les écarts entre moments faibles et moments forts d’un fichier audio, résul­tant en une possible augmen­ta­tion du volume global. La seconde, conçue à l’ori­gine pour remé­dier aux faibles débits des premiers proto­coles de commu­ni­ca­tion via inter­net, permet de réduire de façon parfois très signi­fi­ca­tive le poids d’un fichier, et donc le débit néces­saire pour le trans­fé­rer d’un point à un autre (ou le lire en strea­ming). 

Pour l’au­dio comme pour d’autres médias, le débit par seconde se mesure en kbit/s (ou kb/s, sauf flux multi­ca­nal en très haute réso­lu­tion) ; par exemple, pour un fichier stéréo en 16 bits/44,1 kHz (Wav ou AIFF), le débit est à peu près de 1412 kb/s (et de 2117 kb/s pour sa version en 24 bits). Quand on parle de MP3 128, d’AAC 256, le nombre indique son débit, soit 128 kb/s et 256 kb/s. Quand on les compare à ceux de l’au­dio non compressé (compres­sion de données !), on comprend que de nombreuses choses ont été perdues entre les deux états du fichier audio. Avec quelle inci­dence sur la qualité intrin­sèque de l’au­dio ? On y revien­dra…

Multi­piste, une pratique plus ancienne qu’on ne le croit

La loudness war

D’au­cuns datent l’en­re­gis­tre­ment multi­piste des essais effec­tués par Les Paul dans les années 50 avec son enre­gis­treur maison Ampex ou aux albums des Beatles réali­sés avec des quatre-pistes (lire l’ex­cellent En studio avec les Beatles de Geoff Emerick et Howard Massey, chez Le Mot Et Le Reste). Or, dès l’aban­don des moyens acous­tiques et méca­niques, et avec l’ar­ri­vée des procé­dés élec­triques, des enre­gis­tre­ments ont utilisé l’over­dub­bing (super­po­si­tion de prises de son) dès la fin des années 20, notam­ment chez RCA Victor. L’his­to­rique maison de disques et d’édi­tion a ainsi procédé à l’ajout de parties orches­trales sur des enre­gis­tre­ments piano-voix de Caruso, célèbre chan­teur lyrique de l’époque, après la mort de l’ar­tiste.

Et du côté de l’in­dus­trie ciné­ma­to­gra­phique, un de ses rares véri­tables génies, Rouben Mamou­lian, pratiquera dès 1929 « l’en­re­gis­tre­ment sur deux canaux et les over­dubs dans Applause. » 1

D’ailleurs, saviez-vous que la vitesse de rota­tion des vinyles longue durée, c’est-à-dire 33 tours 1/3 par minute, vient de cette même indus­trie, lorsque les tenta­tives de synchro­ni­sa­tion image-son hési­taient entre un procédé méca­nique (Vita­phone, asso­cia­tion projec­teur-phono­graphe) et un autre, optique (Movie­tone, fixa­tion optique du son sur pelli­cule déve­lop­pée par Theo­dore Case et la Fox) ? Pour les tenants du Vita­phone (la Warner), les durées des « disques » dispo­nibles à l’époque n’étaient pas suffi­santes pour tenir la durée d’une bobine de film (10 mn). Le choix était possible entre agran­dir la surface du disque (ajou­tant à sa déjà grande fragi­lité) ou ralen­tir sa vitesse de rota­tion. La seconde option fut donc choi­sie… Enter le 33 tours !

1 – Kathryn Kali­nak, Film Music, A Very Short Intro­duc­tion, Oxford UP, 2010.

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