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La basse à puce
9/10
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Qu’on aime ou non son jeu et son groupe, il faut tout de même reconnaitre à Michael Balzary le mérite d’avoir apporté au rock des années 90 le « bass hero » qui lui manquait.

Héri­tier en cela de Jack Bruce ou de John Entw­histle, il contre­dit l’image tradi­tion­nelle du bassiste de rock effacé jouant tranquille­ment des fonda­men­tales en croches au fond près du batteur, tandis que le guita­riste et le chan­teur occupent l’avant de la scène.

Et s’il a un style et une atti­tude, Flea a égale­ment un son, qu’on asso­cie le plus souvent à des basses de type Music­Man, avec un unique gros micro à double bobi­nage Music­man (ou Lane Poor) et éven­tuel­le­ment un manche graphite Modu­lus, et c’est sûre­ment ce type de design que l’on asso­cie­rait spon­ta­né­ment à l’idée d’une basse « Signa­ture Flea ». Mais dans la période la plus récente de la carrière des Red Hot Chili Peppers, on a égale­ment vu souvent Flea utili­ser pour les morceaux plus pop une véri­table perle rare : une Jazz Bass de 1961, c’est-à-dire la deuxième année de fabri­ca­tion de ce modèle, et qui plus est dans une couleur extrê­me­ment rare et peut-être unique au monde : la fini­tion Shell Pink.

Ainsi lorsque Fender a annoncé, au début de l’été dernier, la sortie d’un modèle « Signa­ture Flea », ce n’est pas une Fender à la sauce Music­Man qui est sortie des planches à dessin, mais une repro­duc­tion fidèle de la perle rare. Et foin du Custom Shop aux repro­duc­tions fidèles, mais extrê­me­ment onéreuses, c’est dans la gamme Road Worn, donc le haut du panier des mexi­caines, que l’ins­tru­ment se posi­tionne.

Tout cela mérite bien un test, non ? Let’s funk !

Comment repro­duire une puce ?

Fender Flea Jazz Bass : IMG 9936.JPG

Eh bien vous prenez un papa puce et une maman puce et… tout cela devient rapi­de­ment gore. Je vous propose donc de plutôt parler de la repro­duc­tion des instru­ments à cordes, un proces­sus bien plus paisible.

En l’es­pèce, la repro­duc­tion que nous avons sous la main ne risque pas de nous piquer, il s’agit plutôt d’un modèle assez doux, quoique tout de même mordant. Les carac­té­ris­tiques sont très fidèles à l’ins­tru­ment d’ori­gine imaginé par Leo Fender :

  • Corps en aulne de forme Jazz Bass, au vernis nitro-cellu­lo­sique d’un rose pâle tirant sur le blanc cassé, avec les traces d’usage « Relic » typiques de la série Road Worn
  • Manche en érable, vissé avec une plaque signée « Flea » (seule mention de l’as­pect « signa­ture » du modèle), avec des dimen­sions « tradi­tion­nelles » c’est-à-dire un diapa­son de 34 pouces, un profil en C fin, une largeur au sillet de 1,5 pouce, un radius de 7,25 pouces, et 20 frettes plutôt fines
  • Coté élec­tro­nique, les deux micros sont les Fender Ameri­can Vintage '64 Single-Coil Jazz Bass qu’on croise habi­tuel­le­ment plutôt sur les modèles Ameri­can Vintage 60s et autres Custom Shop, avec comme contrôles les fameux et rares « stacked pots ». Il s’agit d’un binôme volume + tona­lité (cran­tée) pour chaque micro, par oppo­si­tion à la confi­gu­ra­tion 2 volumes + une tona­lité deve­nue la norme pour les JB à partir de 1962
  • Coté accas­tillage, un cheva­let aux pontets striés et des méca­niques « reverse » (elles tournent dans le sens inverse des méca­niques plus modernes), le tout conforme aux stan­dards de 1961, avec des chromes légè­re­ment vieillis pour aller avec le look « Road Worn », et un pick­guard Tortoise lui aussi légè­re­ment terni.

Notons que, fidé­lité au vintage oblige, l’ac­cès au truss rod se fait à l’an­cienne par une vis cruci­forme à la base du manche et qu’il faut au moins ôter le pick­guard, voire démon­ter le manche, pour régler la tige. Les joies du rétro…

Brea­king the bass

Au débal­lage, hors de la housse (four­nie), l’en­semble donne une impres­sion de douceur et de flui­dité abso­lu­ment onctueuse. On est ici en présence d’une sorte d’ar­ché­type de la basse élec­trique, le grand ancêtre, la Réfé­rence. La prise en main est remarquable de confort ! On se sent immé­dia­te­ment « à la maison », comme si on prenait en main une basse qu’on possède depuis des lustres. À moins que depuis long­temps vous n’ayez joué qu’ex­clu­si­ve­ment sur des 5 ou 6 cordes au diapa­son étendu et à l’élec­tro­nique active ultra-complexe, vous devriez immé­dia­te­ment ressen­tir cette impres­sion de fami­lia­rité très surpre­nante, mais pas du tout désa­gréable.

Fender Flea Jazz Bass : IMG 9944.JPG

Sur le plan esthé­tique, le « Shell Pink » s’avère beau­coup plus proche du blanc cassé que du rose Barbie. Votre inté­rieur en sera moins funky (vous perdez un point sur le « valé­rie­da­mi­do­mètre »), mais c’est proba­ble­ment plus facile à assor­tir à votre tenue de scène – sauf si vous êtes Bootsy Collins – et sûre­ment moins lassant sur le long terme.

L’as­pect « Road Worn » est bien fait, même si, à titre pure­ment person­nel, j’adhère moyen­ne­ment au concept. Mais ce n’est pas spéci­fique à ce modèle signa­ture Flea. La fiche tech­nique ne dit pas si les éclats de vernis et autres mises à nu du bois du corps sont repro­duits d’après le modèle origi­nal de l’ar­tiste (comme le font les luthiers maniaques du Custom Shop Fender) ou bien s’il s’agit des marques d’usure « stan­dards » des Road Worn. Il faudrait pour cela compa­rer plusieurs séries de photos des divers modèles, ce que j’avoue ne pas avoir fait.

One big bass

Fender Flea Jazz Bass : IMG 9947.JPG

À ce stade de la revue, je dois confes­ser à mes lecteurs un fait honteux : non seule­ment je ne suis guère fan de Flea, mais je ne sais pas slap­per. Pour couron­ner le tout, mon album préféré des Red Hot est One Hot Minute, celui sans Frus­ciante parti voir ailleurs si les éléphants roses y sont. Autant dire que je suis plus que disqua­li­fié pour faire la revue d’une basse signa­ture Flea.

Mais pour­tant, ne recu­lant devant aucun défi, je m’y colle. Après tout, Flea n’uti­lise pas l’ori­gi­nale de cette copie pour ses lignes les plus débri­dées, mais pour les sons plus clas­siques ou pour ses lignes dans d’autres projets tels qu’Atom for Peace (qui ne respire pas le funk pois­seux).

Et basse en main, on constate très vite que cette basse est tout simple­ment, mais c’est déjà beau­coup, une excel­lente Jazz Bass. Cela se traduit par un micro manche qui sait grogner dans les bas médiums (tona­lité à fond) ou s’adou­cir dans le grave (tona­lité coupée), et un micro cheva­let dont le coté acidulé peut lui aussi s’adou­cir en bais­sant la tona­lité (le son « à la Jaco » n’est pas loin, même si cette basse est fret­tée). Le mélange des deux est le royaume des sons natu­rel­le­ment creu­sés dans les médiums, toujours magiques aux doigts.

Dans les trois extraits sonores suivants j’ex­plore ces trois sons de base : micro manche (tona­lité à fond, puis bais­sée à moitié, puis complè­te­ment), micro cheva­let (avec les mêmes étapes pour la tona­lité) et enfin les deux micros ensemble (deux tona­li­tés à fond).

Test Flea piste 1
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  • Test Flea piste 1 00:51
  • Test Flea piste 2 00:47
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La sensa­tion géné­rale est celle d’une Jazz Bass très dyna­mique, avec des médiums très présents lorsqu’on isole l’un des micros, et au carac­tère sonore affirmé. L’en­semble est très cohé­rent, la basse est à la fois facile à jouer, très réso­nante à vide, punchy et agréable une fois bran­chée, c’est une vraie réus­site. Cette basse est un instru­ment addic­tif, plus on le joue moins on a envie de le lâcher.

Je ne sais pas s’il s’agit d’une spéci­fi­cité des basses de cette époque ou du modèle cloné ici, mais j’ai trouvé le son géné­ra­le­ment plus inci­sif que le son « JB clas­sique » qu’on a souvent en tête. C’est pour moi une qualité, mais peut-être que cette basse serait un poil trop présente dans des registres deman­dant un son plus rond, plus effacé. Quelque chose me dit cepen­dant que cette basse ferait des miracles montée en filets plats, pour combi­ner l’as­sise et la rondeur de ce type de cordes avec l’at­taque et les médiums natu­rels de la basse.

Fender Flea Jazz Bass : IMG 9950.JPG

La confi­gu­ra­tion à deux tona­li­tés mérite qu’on passe un peu de temps à l’ap­pri­voi­ser, car moins instinc­tive que celle à une seule tona­lité qui est plus courante. Mais pour autant, une fois saisi comment équi­li­brer les sons, c’est au final quasi­ment plus natu­rel et surtout plus poly­va­lent que la confi­gu­ra­tion JB clas­sique. Deux approches sont d’ailleurs possibles :

  • Régler la tona­lité de chaque micro selon le degré souhaité, puis explo­rer la palette des sons tradi­tion­nels d’une Jazz Bass en mélan­geant les deux micros, mais sans devoir faire un compro­mis entre mater les aigus du micro cheva­let, ou préser­ver les aigus du micro manche (et réci­proque­ment). Avec cette approche, l’uti­li­sa­tion de la JB à deux tona­li­tés parait plus logique que celle à une seule tona­lité.
  • Trou­ver son équi­libre entre les deux micros puis utili­ser les deux tona­li­tés comme des « filtres », ces deux poten­tio­mètres n’agis­sant pas sur les mêmes domaines du spectre sonore. Dans ce cadre, on se retrouve à penser quasi­ment de la même manière qu’avec une basse à l’élec­tro­nique active, sculp­tant le son avec une approche sur l’en­semble du spectre, plus ou moins de graves par ci, plus ou moins d’ai­gus par là …
Fender Flea Jazz Bass : IMG 9945.JPG

En revanche, le champ des sons possibles est un peu restreint par l’ab­sence totale de progres­si­vité des poten­tio­mètres, ce qu’on perçoit d’ailleurs dans les extraits sonores plus haut, micro par micro. Est-ce que, là aussi, c’est fidèle au vintage ? En tout cas, les poten­tio­mètres de volume ont la majeure partie de leur effi­ca­cité sur la toute première partie de la course (de « tout à fond » à « juste un peu baissé », on perd beau­coup plus que sur l’en­semble du reste de la couse du potard). Pour les poten­tio­mètres de tona­lité, c’est l’in­verse, il ne se passe pas grand-chose lorsque l’on tourne le poten­tio­mètre quasi­ment jusqu’aux derniers crans, et la coupure des fréquences aiguës n’in­ter­vient que sur les toutes dernières posi­tions du bouton cranté.

Voici dans les extraits suivants, l’illus­tra­tion de quelques mélanges possibles :

  • Dans l’ex­trait n°4 je joue au média­tor, les deux micros à fond, mais en bais­sant au ¾ la tona­lité du micro cheva­let
  • Dans l’ex­trait n°5, je joue aux doigts, les deux tona­li­tés sont à fond, ainsi que le micro cheva­let, mais je baisse légè­re­ment le micro manche
  • Enfin dans l’ex­trait n°6, les deux micros sont à fond, la tona­lité du micro manche bais­sée légè­re­ment, et je tente pour vous un slap de niveau école mater­nelle.
Test Flea piste 4
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  • Test Flea piste 5 00:27
  • Test Flea piste 6 00:17

À titre person­nel j’ai trouvé mes sons favo­ris en coupant à moitié voire aux 3/4 la tona­lité du micro cheva­let, mais en lais­sant complè­te­ment ouverte celle du micro manche, puis en dosant l’équi­libre entre micros selon les besoins. Aux doigts comme au média­tor, c’est abso­lu­ment addic­tif.

This Velvet Bass

Avec un tarif neuf de 1 200 euros, la Fender Flea est rela­ti­ve­ment bon marché pour ce qui est objec­ti­ve­ment une très bonne Jazz Bass, qui plus est dans une confi­gu­ra­tion « stacked pots » pré-1962 qui se fait rare hors du Custom Shop Fender ou hors les répliques prove­nant de luthiers spécia­li­sés dans le Vintage. On peut aussi consi­dé­rer que c’est un prix qui place cette basse loin au-dessus des tarifs habi­tuels de la gamme mexi­caine, et plus proche des prix d’oc­ca­sion pour des « vraies » améri­caines comme l’Ameri­can Vintage ’64, qui comporte les mêmes micros, mais n’a pas la même élec­tro­nique.

Ce débat tari­faire n’est pas propre à cette Flea puisqu’il concerne l’en­semble de la gamme Road Worn. Et si certains trou­ve­ront toujours ces basses trop chères pour des Mexi­caines, d’autres ne s’ar­rê­te­ront pas à la prove­nance et pren­dront ces basses pour ce qu’elles sont : un excellent rapport qualité/prix. 

Et le côté « Signa­ture Flea » dans tout ça ? Eh bien il s’ou­blie complè­te­ment dans l’his­toire, et quelque chose me dit que c’est plus ou moins volon­taire, quand on consi­dère que le nom de Flea n’ap­pa­rait qu’au dos sur la plaque de manche. Au final, on ne peut pas vrai­ment consi­dé­rer cette basse comme un pur instru­ment Signa­ture. Je la vois plutôt comme une réplique somme toute abor­dable d’une excel­lente basse de 1961 qui, par ailleurs, se trouve être la propriété de Flea. Nuan­ce…

Je vous laisse, je retourne la faire grogner avant de devoir la rendre.

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  • Fender Flea Jazz Bass : IMG 9936.JPG

 

9/10
Points forts
  • Tout simplement une très bonne Jazz Bass
  • Des spécifications fidèles au modèle de 1961, le vintage est à la mode
  • À vide, on apprécie l’ergonomie intemporelle, la légèreté, une basse qui résonne naturellement
  • Branchée, des sons typiquement JB avec un mordant qu’on ne retrouve pas dans les modèles plus « standards », même de provenance US
Points faibles
  • Chère pour une Mexicaine ?
  • Des spécifications fidèles au modèle de 1961, y compris les points pas optimaux à l’époque (truss rod …)
  • Même si le rose est discret, il n’en reste pas moins qu’elle est ROSE

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