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Culture / Société
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Dossier sur le marché de la facture instrumentale en France

Petit point sur les ventes d’instruments en France

Les résultats d’une étude portant sur le marché français des instruments viennent d’être publiés. Nous vous proposons un résumé des éléments principaux mis en exergue par l’étude.

Dossier sur le marché de la facture instrumentale en France : Petit point sur les ventes d’instruments en France

En 2008, 23 % des Français décla­raient savoir jouer d’un instru­ment de musique. Parmi eux, la moitié avait pratiqué dans les douze derniers mois. Cette pratique peut d’ailleurs prendre diffé­rentes formes : 8 % des Français jouent dans un cadre collec­tif, 5 % font partie d’un groupe ou d’une forma­tion, et 5 % composent avec un ordi­na­teur. Au total, les musi­ciens amateurs repré­sen­te­raient donc 18 % de la popu­la­tion française. Cela confirme que la pratique de la musique est impor­tante en France, bien qu’elle soit plus déve­lop­pée dans de nombreux pays euro­péens, et une véri­table indus­trie l’ali­mente.

Il y a un an, la Chambre Syndi­cale des Fabri­cants d’Ins­tru­ments de Musique (CSFI), en parte­na­riat avec le minis­tère de l’Éco­no­mie (DGE), a mandaté le CREDOC pour établir un pano­rama du marché des instru­ments en France. L’idée était alors d’ana­ly­ser l’offre et la demande pour four­nir des éléments de compré­hen­sion du marché à desti­na­tion des acteurs du secteur des instru­ments de musique.

L’étude et sa métho­do­lo­gie

Ce petit point sur les ventes d’ins­tru­ments en France est basé sur le rapport rédigé par le CREDOC. Cet orga­nisme réalise des études à desti­na­tion des acteurs de la vie écono­mique et sociale. Le comité de pilo­tage respon­sable de l’étude était composé de diffé­rents acteurs liés à la facture d’ins­tru­ments (membres de la Chambre Syndi­cale des Fabri­cants d’Ins­tru­ments de Musique et du Grou­pe­ment Profes­sion­nel des Facteurs d’Orgues, chef de produit du maga­sin Buffet Cram­pon, etc.) et des spécia­listes de l’éco­no­mie (notam­ment diffé­rents membres de la Direc­tion Géné­rale des Entre­prises).

Les mandants d’une étude et les diffé­rents inter­ve­nants et acteurs qui lui sont asso­ciés orientent toujours une étude, et certains tropismes peuvent donc émer­ger. Dans notre cas, les acteurs de la facture d’ins­tru­ments « clas­siques » sont très repré­sen­tés. Parmi les person­na­li­tés consul­tées, on observe aussi la présence de quelques maga­sins (Les Maîtres du Piano/Piano­shop, L’Ate­lier d’Or­phée), et du leader de la distri­bu­tion en France, Algam. Plusieurs repré­sen­tants du monde de la luthe­rie sont aussi impliqués dans l’étude (APLG, ALADFI, GLAAF, GFPO).

S’in­for­mer sur la métho­do­lo­gie employée est aussi essen­tiel pour comprendre l’orien­ta­tion d’une étude et les résul­tats obte­nus. Tout d’abord, les instru­ments sur lesquels porte l’étude ont été clas­sés en cinq caté­go­ries :

  • Instru­ments à vent (haut­bois, clari­nettes, saxo­phones, trom­pettes, flûtes, harmo­ni­cas, etc.)
  • Cordes frot­tées (violons, altos, violon­celles, contre­basses, etc.)
  • Cordes pincées (guitares élec­triques et acous­tiques, basses, ukulé­lés, harpes, amplis, pédales d’ef­fets, etc.)
  • Claviers et accor­déons (pianos acous­tiques et élec­triques, orgues élec­tro­niques ou non, clave­cins, amplis, accor­déons, claviers maîtres, synthé­ti­seurs, works­ta­tions, samplers, etc.)
  • Batte­ries et percus­sions (batte­ries acous­tiques et élec­tro­niques, boîtes à rythmes, timbales, djem­bés, tambou­rins, etc.)

Les produits de sono­ri­sa­tions et les logi­ciels ont été écar­tés de cette analyse portant sur les instru­ments de musique. Il semble­rait qu’il en soit de même pour certains produits de DJing, puisque nous n’avons pas trouvé trace de platines ou de tables de mixage.

En ce qui concerne le déroulé de l’étude à propre­ment parler, deux types de recueils de données ont été mis en place. Tout d’abord, une enquête en ligne a été réali­sée auprès de 10 000 personnes de 18 ans et plus, consti­tuant un échan­tillon repré­sen­ta­tif de la popu­la­tion française. Les personnes ciblées étaient les ache­teurs, mais pas forcé­ment les pratiquants. Il arrive en effet d’ache­ter un instru­ment pour quelqu’un d’autre. En plus de cela, onze entre­tiens ont été menés auprès de « la filière offre ». Il s’agit des profes­sion­nels que nous avons évoqués plus tôt.

Notre point sur l’étude et sa métho­do­lo­gie étant fait, nous allons tenter de résu­mer les prin­ci­paux points rele­vés.

Les ventes

Graphique 1 volume
Répar­ti­tion des ventes annuelles d’ins­tru­ments de musique en volume

En France, 1,6 million d’ins­tru­ments de musique sont vendus chaque année. 1,2 million (soit 74 %) sont des instru­ments neufs, et 400 000 sont d’oc­ca­sion. La loca­tion, elle, repré­sente 353 000 actes par an, ce qui corres­pond à 22 % des achats neufs ou d’oc­ca­sion, mais la valeur géné­rée est margi­nale selon l’étude.

45 % des ventes neuves et d’oc­ca­sion sont des instru­ments à cordes pincées. Viennent ensuite les claviers et accor­déons qui consti­tuent 23 % des ventes. Les instru­ments à vent repré­sentent 17 % du marché, et les batte­ries et percus­sions 12 %. Enfin, les instru­ments à cordes frot­tées comptent pour seule­ment 3 % des ventes. Il est donc clair que le marché de la facture instru­men­tale est outra­geu­se­ment dominé par les cordes pincées. La guitare aurait-elle encore de beaux jours devant elle ? En ce qui concerne l’oc­ca­sion, ce sont surtout les claviers et les accor­déons qui s’illus­trent avec 35 % des ventes totales. À l’in­verse, dans le domaine des cordes pincées, l’oc­ca­sion ne repré­sente que 23 %.

Graphique 2 gammes
Répar­ti­tion des achats d’ins­tru­ments neufs par gamme

L’étude nous apprend égale­ment que 47 % des produits neufs vendus sont quali­fiés d’en­trée de gamme, et seule­ment 6 % de haut de gamme. Cela varie toute­fois en fonc­tion du type d’ins­tru­ments ! Si l’en­trée de gamme repré­sente la majo­rité des achats neufs dans les domaines des claviers/accor­déons et des batte­ries/percus­sions, les ache­teurs d’ins­tru­ments à vent et de cordes pincées favo­risent le milieu de gamme. Les amateurs de cordes frot­tées, eux, achètent plus de maté­riel haut de gamme, avec 13 % des ventes pour ce type d’ins­tru­ments contre 6 % en moyenne pour l’en­semble des achats neufs.

Instruments et matériels audio : Graphique 3 valeur
Répar­ti­tion des ventes annuelles d’ins­tru­ments de musique en valeur

La vente d’ins­tru­ments neufs rapporte entre 375 et 417 millions d’eu­ros hors taxe chaque année, en France. Les instru­ments à cordes pincées ont beau repré­sen­ter 47 % des ventes de produits neufs en volume, la valeur de ce type d’ins­tru­ment ne corres­pond qu’à 36 % des reve­nus géné­rés par le marché. Les claviers et accor­déons sont juste derrière avec 34 %, puis viennent les instru­ments à vent (15 %), les cordes frot­tées (8 %), et les batte­ries/percus­sions (7 %).

Outre la vente d’ins­tru­ments, plusieurs acti­vi­tés gravitent autour de la facture instru­men­tale. Par exemple, sur les 5 dernières années, on estime que le nombre d’actes d’en­tre­tien et de répa­ra­tion s’élève à 679 000. Cela corres­pond à 59 % des ventes d’ins­tru­ments. Ce sont surtout les claviers et accor­déons qui sont concer­nés, et ces actes sont essen­tiel­le­ment assu­rés par les fabri­cants et les reven­deurs.

Les acces­soires repré­sentent aussi un volume et une manne finan­cière non négli­geables. Ainsi, chaque année, il se vend près de 2 millions d’ac­ces­soires, dont 1,6 million d’ac­ces­soires pour les cordes pincées (73 %). Cela repré­sente un marché de 100 à 150 millions d’eu­ros HT. 

Les ache­teurs

Éton­nam­ment, un achat d’ins­tru­ment sur deux est effec­tué pour quelqu’un d’autre ! Lorsque l’ins­tru­ment n’est pas destiné à l’ache­teur, il est offert à un membre de la famille dans 3/4 des cas, et il s’agit d’un enfant une fois sur deux.

Le profil des ache­teurs varie d’ailleurs en fonc­tion du type d’ins­tru­ment. Si la clien­tèle des claviers/accor­déons et batte­ries/percus­sions est plutôt jeune, celle des instru­ments à vent et des cordes pincées est plus vieille. Les cordes frot­tées, elles, présentent clai­re­ment une popu­la­tion plus âgée, avec 18 % des ache­teurs de plus de 65 ans, contre 8 % à 11 % pour les autres types d’ins­tru­ments.

Graphique 4 canaux
Répar­ti­tion des achats par circuits de distri­bu­tion

Un point essen­tiel de l’étude concerne les canaux privi­lé­giés par les ache­teurs pour acqué­rir leur maté­riel. Ainsi, un peu moins de la moitié des achats sont réali­sés dans un maga­sin. La vente en ligne, elle, repré­sente à peu près 25 %. L’achat direc­te­ment auprès des marques reste mino­ri­taire, tout comme l’achat entre parti­cu­liers (entre 8 et 17 % en fonc­tion des familles d’ins­tru­ments).

Notons que les instru­ments à cordes frot­tées présentent une parti­cu­la­rité : les ache­teurs passant par un maga­sin ou inter­net sont bien plus rares que dans les autres caté­go­ries (respec­ti­ve­ment 25 % et 16 %), alors que l’achat auprès des marques repré­sente près de la moitié des ventes (47 %). Il s’avère même que les ache­teurs de cordes frot­tées résident plus souvent que la moyenne dans des grandes unités urbaines, et qu’ils sont géné­ra­le­ment plus aisés (59 % de CSP+). Par ailleurs, ils pratiquent plus, et suivent plus de cours : 43 %, contre 24 % chez les ache­teurs de cordes pincées par exemple. Le marché des instru­ments à cordes frot­tées est donc bien parti­cu­lier, ce qui est lié à une pratique clai­re­ment marquée par des facteurs socio­cul­tu­rels et écono­miques.

Les acteurs du secteur

En 2015, on réfé­rençait 1 037 entre­prises et 1 555 sala­riés dans le secteur de la fabri­ca­tion d’ins­tru­ments. 88 % des entre­prises n’ont pas de sala­rié, et elles repré­sentent seule­ment 10 % du chiffre d’af­faires généré dans ce milieu. À l’in­verse, les trois leaders du marché en France comp­ta­bi­lisent 70 % du CA. Les fabri­cants d’ins­tru­ments à vent sont d’ailleurs les mieux lotis, puisqu’ils engrangent 43 % des résul­tats finan­ciers. Dans la même veine, les facteurs employant au moins 10 sala­riés tota­lisent 85 % du chiffre d’af­faires, et se posi­tionnent bien souvent sur le marché des produits haut de gamme. L’ex­per­tise française est réelle, et la forma­tion perfor­mante. Ainsi, ces marques jouissent d’une belle image et d’un rayon­ne­ment à l’in­ter­na­tio­nal qui se concré­tise par 70 % de ventes effec­tuées à l’étran­ger. De plus, la produc­ti­vité de ces struc­tures augmente régu­liè­re­ment.

Hormis pour quelques porte-éten­dards, la situa­tion reste diffi­cile, prin­ci­pa­le­ment en raison de la concur­rence inter­na­tio­nale. Les instru­ments impor­tés sont en effet aussi nombreux que les instru­ments produits en France. Ce sont surtout l’Al­le­magne (28,4 % des impor­ta­tions en France) et la Chine (21,7 %) qui exportent leurs produits. Si les Alle­mands nous envoient essen­tiel­le­ment des acces­soires (43 % des produits), les pianos et claviers numé­riques ainsi que les guitares proviennent énor­mé­ment de Chine. Très souvent, il s’agit de produits d’en­trée de gamme, mais la qualité des produits de milieu de gamme augmente et ils viennent direc­te­ment concur­ren­cer la produc­tion française.

À partir du pano­rama établi, l’étude constate qu’il existe un déca­lage entre l’offre et la demande. Ainsi, les fabri­cants français se posi­tionnent essen­tiel­le­ment sur le haut de gamme, alors que le marché penche clai­re­ment en faveur des instru­ments d’en­trée de gamme, là où des fabri­cants étran­gers s’illus­trent. Mais d’autres éléments sont aussi poin­tés du doigt. Ainsi, les profes­seurs de musique, les conser­va­toires et les collec­ti­vi­tés locales encou­ragent l’achat d’ins­tru­ments d’en­trée de gamme souvent produits à l’étran­ger, en raison de contraintes écono­miques. Les compé­tences tech­niques et commer­ciales des vendeurs sont égale­ment mises en cause. En ce qui concerne les petits fabri­cants (qui repré­sentent l’écra­sante majo­rité des entre­prises du secteur), l’étude indique que, selon les profes­sion­nels rencon­trés, l’ab­sence de condi­tions d’ins­tal­la­tion pour débu­ter en tant que facteur pour­rait nuire à la crédi­bi­lité de l’ac­ti­vité, puisque des personnes ne maîtri­sant pas suffi­sam­ment les tech­niques peuvent poten­tiel­le­ment exer­cer. Le régime de la microen­tre­prise est aussi critiqué, puisqu’il favo­ri­se­rait les nouveaux entrants.

Au-delà de ces constats, d’autres menaces pèse­raient sur le secteur. Le recru­te­ment devient diffi­cile, notam­ment dans la vente, en raison des compé­tences requises et de la poly­va­lence exigée. Les maga­sins physiques seraient en grand danger, car les diri­geants vieillissent et qu’il sera diffi­cile de les rempla­cer, prin­ci­pa­le­ment à cause des problèmes écono­miques rencon­trés et de la concur­rence d’in­ter­net. Enfin, les régle­men­ta­tions euro­péennes et inter­na­tio­nales sur les maté­riaux sont de plus en plus restric­tives pour les fabri­cants, ce qui pèse sur la compé­ti­ti­vité.

Les recom­man­da­tions

L’étude se termine par un ensemble de pistes à suivre pour assu­rer la péren­nité de la facture instru­men­tale française. Par exemple, il faudrait davan­tage miser sur les instru­ments d’études et l’en­trée de gamme pour atti­rer des clients et les fidé­li­ser. Le marché de l’oc­ca­sion pour­rait aussi être une solu­tion, puisqu’il repré­sente une part impor­tante des ventes globales. De même, la loca­tion présente un poten­tiel, puisque cela permet d’ac­com­pa­gner le client sur une longue période.

La sensi­bi­li­sa­tion à l’en­tre­tien et la répa­ra­tion des instru­ments est un autre axe à explo­rer, ce qui béné­fi­cie­rait aux luthiers et aux maga­sins. Les reven­deurs devraient se posi­tion­ner comme des spécia­listes et offrir des services plus variés. Plus géné­ra­le­ment, le déve­lop­pe­ment d’une culture instru­men­tale et une vraie stra­té­gie de commu­ni­ca­tion autour de la pratique sont préco­ni­sés, que ce soit sous l’im­pul­sion des profes­sion­nels ou des pouvoirs publics.

D’autres pistes sont aussi explo­rées, comme la créa­tion d’un dispo­si­tif compa­rable à l’AOC et qui assu­re­rait que « le procédé de fabri­ca­tion respecte un cahier des charges bien précis ». De cette manière, les clients iden­ti­fie­raient rapi­de­ment un produit de qualité, ce qui pour­rait faire la diffé­rence lors d’un achat.

Conclu­sion

L’étude menée par le CREDOC est ambi­tieuse et riche d’en­sei­gne­ments. Surtout, diffé­rentes recom­man­da­tions sont émises, que ce soit à desti­na­tion des reven­deurs, des fabri­cants, des orga­ni­sa­tions profes­sion­nelles ou des pouvoirs publics. Nous vous encou­ra­geons d’ailleurs à lire l’éva­lua­tion dans son ensemble (en version courte ou en version longue).

Malgré tout, l’étude présente certai­ne­ment des limites. L’équipe édito­riale d’Au­dio­fan­zine avait répondu au ques­tion­naire en ligne, et plusieurs points nous avaient semblé mal trai­tés. Il est aussi dommage que les mandants et consul­tants liés à l’étude ne présentent pas un profil plus divers encore. Par exemple, des repré­sen­tants d’un maga­sin comme Wood­brass, premier maga­sin français, auraient pu être de bons inter­lo­cu­teurs. Cela ne remet pas en cause la valeur de l’ana­lyse, mais il est dommage que les trans­for­ma­tions récentes que connait l’in­dus­trie du maté­riel audio ne soient pas plus abor­dées.

Le numé­rique prend de l’am­pleur, les logi­ciels et autres contrô­leurs sont omni­pré­sents dans la musique popu­laire, et les musi­ciens seront — ou sont déjà — profon­dé­ment marqués par cela. Le besoin d’in­no­va­tion et l’uti­li­sa­tion de tech­no­lo­gies nouvelles sont mis en avant dans l’étude, mais cet élément est très rapi­de­ment traité. La produc­tion française excelle dans certains domaines de niche, mais l’ave­nir est-il là ? Quels sont les instru­ments de demain ? Que joue­rons-nous et, par exten­sion, qu’achè­te­rons-nous ? La notion d’ins­tru­ment elle-même ne doit-elle pas évoluer ? Nous n’avons pas encore de réponses, mais nous atten­dons avec impa­tience vos réac­tions.


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