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Pédago
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Des normes ? Énorme...

La Loudness War, 9e partie

Suite de notre dossier sur le volume, ses conséquences sur la musique, le son et nos oreilles.

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On commence à comprendre les consé­quences de la course au volume sur la musique enre­gis­trée, sur sa diffu­sion radio­pho­nique, sur son écoute nomade et ses consé­quences sur nos oreilles. Il faut aussi mention­ner le live, où il est parfois quasi­ment impos­sible d’as­sis­ter à un concert sans bouchons d’oreilles. Quel bel oxymore : être obligé de se boucher les oreilles pour écou­ter de la musique !

La norme, suivant le décret 98–1143 du 15 décembre 1998 revu le 16 octobre 2007, impose une limite de 105 dB (A). Crête ? Non, volume moyen ! Et 120 dB en niveau crête. Si l’on se reporte au tableau des normes de bruit au travail, cela veut dire qu’un concert à ce niveau ne peut durer, sans protec­tions audi­tives, qu’à peine deux minutes ! Diffi­cile à comprendre, le légis­la­teur se rend-il compte de l’in­co­hé­rence des normes impo­sées ? Ce qui serait obli­ga­toire pour le travailleur (et tant mieux) ne l’est pas dans le cadre de concerts ? 

Il est cepen­dant ques­tion de nouvelles limites impo­sant une four­chette comprise entre 95 et 100 dB, soit entre 45 et 6 mn sans protec­tion… Eh bien, figu­rez-vous que des profes­sion­nels s’en plaignent enco­re…

Évidem­ment, on ne parlera pas du respect des normes dans les raves ou festi­vals techno, où l’on atteint des volumes hallu­ci­nants.

Partout, tout le temps

Et le cinéma ? Eh bien, ce n’est pas mieux. Ne parlons pas de la pollu­tion sonore dans la salle (pop corn, portable, copain qui raconte le film à sa copine, etc.) où l’on importe son indi­vi­dua­lisme au lieu de vivre une expé­rience collec­tive, pleu­rer, rire, être ému… Mais du volume de certains films. 

Deux cas de figure : le mixage des block­bus­ters, de gros films d’ac­tion et de certains films n’ap­par­te­nant pas forcé­ment à ces caté­go­ries et le volume dans les salles. Quiconque aura expé­ri­menté The Bourne Supre­macy ou Star Wars L’At­taque Des Clones, Incep­tion, The Aven­gers ou Gravity en salle compren­dra ce dont je veux parler. 

Car, dans ce type de films, il n’est plus ques­tion de faire de choix en termes de mixage : tout doit être sonore, du premier au dernier plan de l’image, la musique doit être là, ainsi que les ambiances, les effets spéciaux et les dialogues. Le résul­tat ? Une bande-son compres­sée pour tout faire tenir, alors que l’ar­ri­vée des Dolby et DTS a permis des dyna­miques de rêve.

Le deuxième problème se gref­fant sur le premier, et contrai­re­ment à ce que croient la majo­rité des spec­ta­teurs, c’est qu’il n’y a pas de limite de volume dans les salles, car les ciné­mas ne font pas partie des lieux visés par le décret 98–1143. Nul besoin d’être extra-lucide pour imagi­ner l’im­pact sur notre audi­tion de deux heures de son compressé à plein volume.

Pour­tant, après avoir insisté pour que les salles soient exclues du champ d’ap­pli­ca­tion, les profes­sion­nels, et notam­ment la Commis­sion Supé­rieure Tech­nique De L’Image Et Du Son commencent à réagir. Voici un extrait de leur Lettre d’avril 2011 (acces­sible à tout le monde via leurs archives, ou télé­char­geable ici) :

« […]nous avons ouvert les débats sur la ques­tion des niveaux sonores. Avec le numé­rique, nous sommes de plus en plus souvent confron­tés à des enco­dages aux niveaux inco­hé­rents […]. Il est urgent que tous les maillons de la chaîne du son au cinéma, que tous les profes­sion­nels concer­nés travaillent de concert si on veut éviter que les niveaux sonores dans les salles de cinéma ne deviennent un problème de santé publique […]. Un des axes de travail actuels est, dans les recom­man­da­tions tech­niques, de redes­cendre le niveau sonore des films à 79 dB […] » 

Croi­sons les doigts pour que des solu­tions soient trou­vées. Mais poin­tons aussi les nouvelles pratiques dans les salles depuis le passage au tout numé­rique : plus besoin de tech­ni­ciens (un seul parfois pour un multi­plexe), films codés, proté­gés (RSA et AES), stockés sur un serveur de distri­bu­tion, dans un accès de para­noïa assez éton­nant. Les mani­pu­la­tions du « projec­tion­niste » sont main­te­nant presque limi­tées à la récep­tion du disque sur lequel le film est stocké, sa copie ou inser­tion dans le serveur, et entrée de la clé four­nie à part, qui auto­rise la projec­tion du film pour une durée précise, sur un seul serveur…

Repre­nons The Bourne Supre­macy. Voici la copie d’écran de l’au­dio : un DR de 13 dB, pour une scène (à partir de 01.27.00 sur le Blu-ray) dans laquelle le moindre bruit (le crachat, la carte dépliée, le pisto­let jeté sur le siège) est quasi­ment aussi fort que le moteur d’une voiture ou la musique, qui du coup ne raconte rien. En salle, pour peu que le volume soit trop fort (ce qui est le cas la plupart du temps), l’ef­fet est dévas­ta­teur. 

loudness war

Voici l’ex­trait.

Cette scène serait beau­coup plus lisible et suppor­table si des choix avaient été effec­tués, au lieu d’es­sayer de tout caser. C’est le même problème qu’en musique…

Un contre-exemple : ceux qui parmi vous ont vu le film Bullit de Peter Yates et sa fabu­leuse pour­suite (mère de toutes les pour­suites à venir, dont la plus récente est celle de Drive de Nico­las Winding Refn, jusque dans ses impos­si­bi­li­tés) se souviennent-ils de la musique, des bruits (des enjo­li­veurs, des autres voitures, du tram, de la ville), pendant celle-ci ? Si oui, revoyez la scène… 

Tenta­tives et réus­sites ? 

Comme mentionné précé­dem­ment, de nouvelles normes, de nouvelles tenta­tives de résoudre les problèmes de course au volume sont mises en place. Ainsi, une des premières tenta­tives grand public a été l’in­té­gra­tion de Sound Check dans iTunes, le logi­ciel de lecture et synchro­ni­sa­tion d’iBi­dules d’Apple, même si le nom n’était pas clai­re­ment défini dès le départ. La procé­dure est acces­sible via les Préfé­rences, par la fonc­tion Egali­seur de Volume (traduc­tion française de Sound Check…).

Plus inté­res­sant, Sound Check est devenu le réglage par défaut et ne pouvant être désac­tivé de iTunes Radio, le service de strea­ming radio d’Apple. En soi, il va ajus­ter auto­ma­tique­ment le niveau de l’au­dio, afin de propo­ser non pas une hausse du niveau, mais une adap­ta­tion du niveau perçu afin qu’il n’y ait plus d’écart d’un morceau à l’autre, d’une station à l’autre. Et comme dans tout travail de ce type, les morceaux qui sonne­ront bien seront ceux qui ont le maxi­mum de dyna­mique, puisque les attaques, les crêtes seront préser­vées, tandis que les autres, « plats » au départ, verront leur volume dras­tique­ment abaissé, et leur manque de dyna­mique, d’at­taques sautera alors aux oreilles, même si le niveau perçu sera le même… On espère ainsi que l’in­uti­lité de la surcom­pres­sion par ce procédé mise en évidence conduira les profes­sion­nels à produire à nouveau sans destruc­tion du son et de la dyna­mique (voir cet article et les réac­tions de Bob Katz).

Deux captures d’écran pour illus­trer le propos, celles des titres de Grace Jones et David Guetta présen­tés dans les précé­dents articles après une « mouli­nette » égale, les mettant tout deux à volume perçu égal (les expli­ca­tions quant à la norme et les modi­fi­ca­tions ici utili­sées vien­dront la fois prochaine).

 

Loudness war
Loudness war

Ce qui se traduit à l’écoute par l’un qui offre un son clair, dyna­mique, avec beau­coup de détails et d’ac­cents, alors que l’autre est tout simple­ment… plat.

01 GraceJones
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  • 01 GraceJones 00:32
  • 02 David­Guetta 00:17
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